20 décembre
Debout sur un promontoire rocheux, l'allure fière, le corps puissant et comme sculpté dans l'ébène, les pieds forts semblant ne faire qu'un avec la pierre qui le portait vers les nues, il était posté là, depuis un long moment sous le soleil dont il ne sentait plus la brûlure. Les yeux mi-clos, il observait à travers l'entrelacement de ses cils, le tournoiement d'une papangue au-dessus des ravins...
Par moment le rire d'Héva lui faisait tourner la tête et ses yeux s'ouvraient grand pour absorber l'image de sa douce compagne puis il revenait au jeu de l'oiseau qui se déroulait bien au-dessous de lui, ses yeux se plissaient à nouveau et il pouvait ainsi voir n'importe quel mouvement inhabituel à des kilomètres... Mais la papangue aux ailes déployées, immense, gracieuse, qui planait de toute la force de sa liberté... Il trouvait cela tellement beau ! Et s'il s'élançait vers l'abîme ? Il rejoindrait un instant l'oiseau dans son indicible liberté et sans doute qu'alors s'effaceraient ses cicatrices... Celles du fouet et des chaînes mais aussi celles plus profondes de son âme...
A nouveau il entendit le rire d'Héva, son aimée...
Il avait entraîné Héva dans sa fuite, il avait brisé ses chaînes à elle aussi et sauvée de la folie de l'homme blanc mais étaient-ils libres pour autant ? Le serait-il jamais, lui, Anchaing, esclave marron ? Combien de temps encore avant que les chasseurs de noirs ne retrouvent leur trace ?...
Une mélopée aux accents tristes et doux monta de ses lèvres et se répandit sur tout le piton. Un vent venu de lointaines contrées africaines fit taire les oiseaux et gémir les arbres, Heva sortit du boucan de fortune où elle préparait un maigre repas. Son regard de biche traquée chercha celui de son roi et le caressa un instant... Elle voyait dans ces yeux qui s'ouvraient grand sur elle, tout l'amour du ciel et de la terre mais Anchaing, lui, n'avait jamais vu rire Héva ailleurs que dans ses rêves...
Demain, 20 décembre, mon ile fête l'abolition de l'esclavage !
Photos prises sur la route de Salazie
pendant mes congés du mois de mai...