Le guétali
Il venait presque chaque jour, entre quatre et cinq heures,
s'asseoir dans le guétali. Il se calait
dans un vieux fauteuil de rotin en s'assurant
d'une vue d'ensemble sur la rue, puis il faisait semblant de lire...
Les panneaux de bois ajourés, qui fermaient en partie le kiosque,
dessinaient des arabesques sur les pages de son livre...
C'était joli,
mais ce qui l'intéressait surtout, c'était ce qu'il se passait
en contrebas. De là où il était, il voyait sans être vu
et s'amusait du va-et-vient, des conversations chuchotées,
qui entremêlaient les ombrelles, ou des réflexions qu'on
se lançait à haute voix : tout le monde se connaissait !
Il entendait la chanson du "bazardier" ambulant
qui vendait légumes et fruits à la criée,
bien avant de le voir arriver ;
le panier débordant de couleurs, bien vissé sur la tête
et un chien efflanqué sur les talons...
Le temps passait agréablement jusqu'à l'instant
cher entre tous, le moment qu'il attendait...
Elle arrivait toujours du même coin de rue,
ses longues jupes dansant au rythme de son pas léger...
Il se levait alors, s'approchait, et ainsi,
debout dans l'ombre et se retenant presque de respirer,
il l'observait à loisir...
Sa jolie capeline ne cachait pas les traits doux
de son jeune visage
que dévoraient de grands yeux verts.
Quelques taches de rousseur décoraient agréablement
un nez fin et droit, et, sa bouche
qui semblait toujours sourire,
faisait pâlir les anturiums de la terrasse.
Il avait cru voir, parfois, son regard scruter l'ombre,
furtivement...
Lorsqu'elle passait juste en dessous de lui et
qu'il ne voyait plus que le dessus de son chapeau
agrémenté de rubans, il fermait les yeux,
ému d'une proximité telle,
qu'il croyait sentir son parfum...
Ce n'était, hélas, que celui des roses du jardin !...
La petite phrase "Guet' à li",
souvent dite de façon moqueuse,
voire étonnée, pourrait se traduire par :
"regarde donc celui-là..."
et donne tout son sens au nom du "guétali"
qui est un fameux poste d'observation...